La Terre

 Il avait plu
Depuis le vendredi soir
Et y avait plus
De fourrage à l’étable.
Maman m’a dit
Aidant grand-mère à s’asseoir :
“Plus de crédit !
Appelle ton père à table”
Puis elle reprit
En servant Jean-Michel :
“C’t’après-midi
Prends donc l’échelle !
Cet appentis
Est une vraie passoire,
Tiens passe-moi donc le sel …”

Il a poussé
Le crucifix sur l’armoire
Puis embrassé
Le vieux portrait de Gilles.
On aurait dû
Prendre au sérieux cette histoire,
On aurait dû
L’accompagner en ville. 
J’avais d’l’ouvrage
Sur la parcelle du bout, 
A l’ensilage
Et tout à coup,
J’ai vu l’orage
Monter sur les Essarts,
Comme une main vaudou.

Comme les navets
Crevaient sous les coccinelles,
Papa n’avait
Même pas quitté ses bottes.
Coupant le pain
Avec son vieil Opinel, 
J’ai vu soudain
Qu’il avait la tremblote.
“Est-c’que quelqu’un
Ira en ville tantôt ?
J’aurais besoin
Là de l’auto…
Passe donc le vin !
Moi tous ces criminels
Je les colle au poteau…”

Je suis rentré
Après lui sur les sept heures
Et j’ai trouvé
La Ford en plein milieu,
Sous le hangar, 
Juste derrière le tracteur,
Une forme noire
Pendait entre les pneus…
Grand-mère l’aura
suivi en février,
Avant qu’on soit
Exproprié
Maman, elle, va
S’installer chez sa soeur
Et moi j’ai beau prier…

La terre,
La terre nom de Dieu
Ne fera-t’elle donc
Jamais de cadeau ?!
La terre,
La terre de nous deux
C’est toi qui en portais le fardeau.

C’est toi qui la portes sur ton dos

 

Fabrice Beauvoir